Lloyd Cole

S’il fallait choisir un seul dandy lettré pour incarner une certaine idée de la pop anglaise des années 80, ce serait sans doute Lloyd Cole. Né en 1961 à Buxton, dans le Derbyshire, Cole a d’abord étudié la philosophie et la littérature à l’université de Glasgow avant de se lancer dans la musique. De cette formation universitaire, il gardera le goût des citations, des références, des figures complexes – qu’il glissera avec élégance dans ses textes, sans jamais tomber dans la prétention. C’est à Glasgow, au début des années 80, qu’il forme The Commotions, un groupe de rock indépendant rapidement signé par le label Polydor. Le premier album, Rattlesnakes (1984), est un petit bijou de pop érudite et nerveuse, où l’on croise aussi bien Eva Marie Saint que Norman Mailer. Porté par des titres comme Perfect Skin ou Forest Fire, le disque devient culte presque immédiatement. Suivront deux autres albums avec les Commotions – Easy Pieces (1985) et Mainstream (1987) – un peu plus produits, un peu moins incisifs, mais toujours portés par l’intelligence mélodique et les textes acérés de Cole.

En 1989, le groupe se sépare. Lloyd Cole s’installe alors aux États-Unis, d’abord à New York puis dans le Massachusetts, et entame une carrière solo discrète mais constante. Son premier album solo, sobrement intitulé Lloyd Cole (1990), s’aventure sur un terrain plus rock, avec une production américaine typique du début des années 90. Il poursuit en 1991 avec Don’t Get Weird on Me Babe, un disque audacieux coupé en deux : une face orchestrale façon crooner postmoderne, et une face plus rock. On y entend déjà ce goût pour l’expérimentation discrète, loin des tendances, mais toujours dans une forme de classicisme exigeant. Au fil des décennies, Cole affine son écriture, s’oriente vers des ambiances plus acoustiques (Music in a Foreign Language, 2003), puis vers une folk-pop doucement ironique (Broken Record, 2010), avant de surprendre tout le monde avec un virage synthétique maîtrisé dans Guesswork (2019), où sa voix s’appuie sur des nappes électroniques glacées à la façon de David Sylvian ou Talk Talk. Ce tournant se poursuit avec On Pain (2023), produit par Chris Merrick Hughes (Tears for Fears), qui creuse la veine introspective et synthétique avec une élégance peu commune.

Lloyd Cole n’a jamais cessé d’enregistrer, de tourner, d’échanger avec son public via son site internet ou ses newsletters pleines d’humour britannique. On l’a même vu collaborer avec Hans-Joachim Roedelius du groupe Cluster pour un album ambient en 2004, preuve que ce faux classique, discret mais curieux, ne s’est jamais enfermé dans une formule. Ses chansons sont souvent peuplées de personnages désabusés, de figures littéraires, d’amours compliqués et de pensées sur le temps qui passe. Et malgré les changements de ton ou d’arrangements, on y reconnaît toujours cette voix légèrement traînante, un peu flegmatique, qui semble regarder le monde avec distance, mais aussi une certaine tendresse.

Il faut dire qu’il a beaucoup compté pour nous. Ses disques ont vraiment accompagné nos vies, au fil des années 80 et des années 90. On l’écoutait tard le soir, seul ou entre amis, en quête de sens ou simplement pour le plaisir de ces chansons à la fois mélodiques, élégantes et touchantes. Ses mots, ses accords, cette façon si particulière de mêler ironie et émotion, ont marqué durablement notre rapport à la pop.

Cole fait partie de ces artistes qui n’ont jamais cherché à revenir sur le devant de la scène, mais qui ont su construire un lien durable avec ceux qui les écoutent. Une forme de fidélité mutuelle, sans tapage. On le suit comme on lit un écrivain qu’on aime, dont chaque nouveau livre offre une variation sur des thèmes familiers. Une œuvre discrète mais précieuse, pour celles et ceux qui aiment la pop qui pense sans s’excuser d’être belle.

Nous sommes le 21 Mars 1990 à Madrid, Lloyd s'attaque à un classique du King Elvis !