J’ai déjà évoqué The Fleshtones en ces augustes colonnes, mais il était temps d’y revenir, tant ce groupe américain résume à lui seul l’esprit rock que j’aime documenter ici : des années d’activité menées sans reniement, une énergie intacte et cette manière unique de marier la tradition rock’n’roll à une urgence presque punk. Formés en 1976 dans le Queens, Peter Zaremba, Keith Streng et leurs camarades n’ont jamais cessé d’expérimenter, de tourner, d’enregistrer, d’aller de l’avant sans jamais vraiment se poser la question de savoir s’ils allaient entrer dans l’histoire. Et c’est précisément pour cela qu’ils y sont entrés. En plus, le groupe a des liens particuliers avec la France (cfr, par exemple, l'album où ils accompagnent Tony Truand ou leur chanson hommage à Dominique des Dogs).
Leur fameux “Super Rock”, qui mélange garage, surf, R&B, rockabilly et un peu de psyché, n’a jamais vraiment trouvé de clone. On pourrait dire que c’est le son des racines rock américaines passées dans un blender biberonné aux nuits du CBGB, mais même ça reste un raccourci. Leur musique n’a rien de nostalgique : elle avance, elle exige de danser, elle ne triche pas. Leur premier single American Beat, en 1979, donnait déjà le ton, suivi du très marqué Roman Gods en 1982, qui plaçait définitivement le groupe dans la catégorie des formations capables d’allier un héritage rock solide à une vraie modernité. Les décennies suivantes n’ont rien changé à leur manière de travailler, ni à leur capacité à surprendre, des productions marquantes comme Beautiful Light ou le plus abrasif Laboratory of Sound enregistré par Steve Albini, jusqu’aux disques plus récents qui témoignent d’une longévité rare dans leur scène.
Les Fleshtones ont aussi cette singularité d’être restés un groupe de scène. Leur réputation vient de là, de concerts débordants d’énergie, où l’on comprend vraiment ce qu’ils veulent dire par “Super Rock” : ce n’est pas un style, c’est un état d’esprit. Ils n’ont jamais franchement cherché la reconnaissance commerciale, mais ils ont acquis quelque chose de plus durable, ce statut de groupe culte qui traverse les époques sans se démoder. Dans une carrière qui frôle aujourd’hui le demi-siècle, ils n’ont jamais cessé de jouer, de tourner, de défendre leur musique avec une générosité qui forcerait presque le respect à n’importe quel cynique.
Si je m’y intéresse sur Bouloup, et si j’en reparle aujourd’hui, c’est parce que The Fleshtones incarnent parfaitement ce que j’aime documenter : des musiciens qui ne se racontent pas d’histoires, qui avancent sans compromis et qui, sans en avoir l’air, ont influencé beaucoup plus de groupes qu’on ne veut bien l’admettre. Leur carrière pourrait presque servir de fil rouge à une autre histoire du rock américain, celle qui ne passe pas par les charts mais par les caves, les clubs, les labels indépendants et les obstinés du son brut. À mes yeux, c’est là que se trouve la vraie mémoire du rock, et The Fleshtones en sont l’une des plus belles preuves encore vivantes. Nous sommes à New-York City le 30 0ctobre 1980, les Fleshtones reprennent un standard des Shadows Of The Night...